47ms down – avant première avec les vrais acteurs!

Beaucoup ne connaissent peut être pas encore ce monument du 7ème art sorti récemment en salle, dont l’intrigue et le réalisme technique ont facilement relégués « Jaws » et « le Monde du silence » au rang de vulgaires pastiches amateurs du cinéma subaquatique. Si je fais référence à ce film catastrophe au suspense haletant, c’est parce que ceux qui ont participé à la dernière sortie ESSOR en ont vécu toutes les intrigues…

Est-ce la conjonction des astres, ce que les Vajrayâna tibétains appellent le destin ou plus simplement un incroyable fruit du hasard, mais tous les ingrédients qui ont fait la réussite de ce film s’étaient rassemblés pour nous faire vivre l’aventure la plus intense que les week-ends Essor ne nous aient jamais proposés.

 

47m de profondeur et 73 min de tension ; une cage d’acier face à l’immensité des profondeurs sous-marines ; de jolies femmes (merci Isabelle et Belinda) et des hommes courageux ; le temps qui défile aussi inexorablement que les bars d’air comprimé ; cette inquiétude qui croît, qui assèche la gorge presqu’autant que l’air qui se raréfie ; et cette surface, ces cieux protecteurs si proches et pourtant inaccessibles…..

 

 
Tout avait pourtant si bien commencé. Un groupe d’amis descendus dans le sud pour y trouver un peu de quiétude, de soleil, et la promesse de belles plongées. Les gentils organisateurs (merci au subatomic !) ont tout prévu pour le bien-être des participants. Nous sommes logés au « Relais du Baou », une terre bien connue des Essoreurs, et l’ambiance bat son plein dans les camions qui avalent les kilomètres d’autoroute qui nous séparent de notre destination. Etait-ce déjà un présage de mauvais augure ? Arrivé à la pause-dîner, je m’aperçois…. que j’ai oublié ma barre de Mars. Or je ne plonge jamais sans avoir d’abord englouti une barre de mars !!! Qu’importe. A quoi bon s’attacher à de si menus détails, j’oublie rapidement ce malheureux incident….

Le lendemain matin, nous retrouvons Eric, le propriétaire du club. Il a changé. Est-ce simplement le temps qui passe, une coquetterie de quadragénaire, ou la manifestation annonciatrice du drame à venir, mais de longs cheveux et une barbe hirsute lui dévorent désormais une partie du visage. Ce visage, son teint buriné de fin de saison, son sourire aux larges dents, tout cela me rappelle…. Je fouille dans ma mémoire et l’image me revient, surgissant violemment d’un passé que j’avais tenté d’oublier….Quint, le capitaine de l’ORCA, navire maudit des « dents de la mer ». Celui dont la folie et l’obstination avaient conduit son équipage de chasseurs de requins vers un destin funeste… Encore un signe prémonitoire ? Non, je chasse rapidement ces pensées de ma tête : un soleil méditerranéen accueillant, la douceur clémente d’un bel automne, une mer dont pas une ride ne voile la surface, un programme de plongée alléchant: rien ne peut laisser imaginer qu’un drame est sur le point de se produire.

Samedi. Une journée pleine de promesses commence. Le Narkoz quitte son port d’attache emportant à son bord 2 membres d’équipage et 18 plongeurs aguerris, direction le grand large. Première plongée sur le « Donator » : un monstre d’acier gisant par près de 50 m de fond. Mer calme, aucun courant, même Laurent Charpiot de raterait pas l’épave dans ces conditions-là. L’épave s’est parée pour nous de ses plus beaux atours : son immense hélice (que seul un plongeur profondément narcosé pourrait rater !) et sa large carcasse métallique ornée de concrétions multicolores ; ses coursives envahies par de magnifiques gorgones ; sa faune abondante avec une jolie Mostelle ayant élu domicile à la base de la coque et quelques mérous dérangés par notre intrusion…. 15 minutes, c’est bien peu de temps pour explorer tous les secrets de ce merveilleux site, et il nous faut rapidement quitter ce paradis perdu pour rejoindre le purgatoire d’un interminable palier à 3m…

De retour sur le bateau, les discussions vont bon train. Les bavards expliquent tout ce qu’ils ont vu de plus que les autres, les photographes montrent leurs photos, les plongeurs « en étanche » regardent avec un sourire moqueur les plongeurs « en humide »  s’habiller en grelottant, et les plongeurs « en humide » de déclarer à qui veut l’entendre que l’eau n’était vraiment pas froide et qu’il n’y a aucun intérêt à s’encombrer d’une combinaison étanche par ce temps ! L’humeur est à la gaité et à la gouaille, alors que chaque minute qui passe nous rapproche un peu plus de l’inévitable drame…

Pour la plongée de l’après-midi, notre capitaine prend le cap de Porquerolles, direction « la pointe du vaisseau ». Autre site, autre ambiance, mais tout autant de ravissements. Pour ma part, j’en retiendrai la rencontre improbable avec un énorme mérou, posé sur la roche, visiblement très peu impressionné à la vue de deux homo sapiens neoprenus. A. (je préfère conserver son anonymat) qui plonge avec moi, s’approche doucement, à quelques centimètres à peine de la bête. Mais ses mouvements de palmes saccadés, son équilibrage incertain et l’immense chapelet de bulles s’échappant de son détendeur (témoignant bien évidemment d’une très mauvaise  maîtrise de sa ventilation !) finissent par lasser le pourtant paisible Epinephelus, qui finit par s’éloigner de nous avec nonchalance.

Fin de la plongée, Les bavards expliquent toujours aux autres ce qu’ils ont vu, les photographes montrent leurs nouvelles photos, les plongeurs « en étanche » regardent avec un sourire moqueur les plongeurs « en humide »  s’habiller en grelottant, et les plongeurs « en humide »… ne disent plus rien !

De retour sur la terre ferme, la journée se termine avec ce petit moment convivial que les plongeurs apprécient tout particulièrement et que le commun des mortels appelle « Apéro ». Un grand merci à Isabelle d’avoir pris en charge l’organisation dudit « Apéro » au pied levé et de nous avoir concocté un délicieux punch. Le diner et la soirée se terminent doucement, alors que les plongeurs les plus courageux vivent en direct leur deuxième naufrage de la journée, avec la sévère défaite de l’équipe de France face aux terribles « All black » de Nouvelle-Zélande…

Fin du premier acte.

Dimanche. La sonnerie du réveil, la douce odeur du café chaud et des croissants frais, rien ne laisse présager que ce jour puisse être en quoi que ce soit différent du précédent. Arrivé sur le bateau, comme à mon habitude, je prépare mon équipement avec soin, je vérifie la pression de mon bloc et les raccordements de mes détendeurs, j’enfile mon chausson gauche, puis le droit. Eric annonce de sa voix de baryton que nous naviguons en direction du « Grec ». Des sourires apparaissent sur les lèvres de ceux qui connaissent le site. Le « Grec » est une magnifique épave, encore une très belle plongée en perspective…  A ce moment, personne ne se doute encore que nous n’atteindrons jamais notre destination….

Je rassure tout de suite le lecteur émotif qui tente avec angoisse de déchiffrer le sens exact de cette phrase inquiétante. Notre traversée ne connut pas un destin tragique, mais un esprit malveillant avait décroché la balise de repérage de l’épave, si bien que nous dûmes renoncer à plonger sur ce site.

A quelques encablures du bateau, la balise du Donator est, elle, bien visible et après une rapide consultation du groupe, il est décidé de faire une deuxième plongée sur l’épave. Le directeur de plongée, un gars assez « carré » (ou devrais-je dire cubique ?) sur la sécurité a brassé les palanquée, et je me retrouve séparé de mon compère d’immersion, A., sans savoir que cette décision va m’épargner de vivre le drame des évènements à venir….

La deuxième plongée est largement à la hauteur de nos espérances. Fort de notre expérience de la veille, nous optimisons les trajectoires pour passer plus de temps sur les parties les plus intéressantes de l’épave. Une brève incursion dans la cale, dont les membrures métalliques rappellent les barreaux d’une cage, et me revient alors la vision du film catastrophe évoqué précédemment… Vient enfin l’heure de la remontée et du paysage monotone d’un palier en pleine eau, et de la remontée sur le bateau. Eric fait manœuvrer le Narkoz afin de récupérer l’une après l’autre les palanquées dérivantes, et progressivement, nous rejoignons tous le bord. Tous ? Non. Deux palanquées manquent à l’appel, dont celle de A. Rapidement, nous repérons, par 25 degrés bâbord amures, 2 parachutes ballotés par les flots. 2 parachutes proches, très proches, trop proches.

Dans le langage des plongeurs, 2 parachutes proches, tenus dans une même main, c’est un signe de détresse. Quelque chose s’est passé, là, sous l’eau, à quelques mètres de nous….  Les minutes s’égrènent et toujours pas de plongeurs remontés en surface. Eric décide de prendre les choses en mains. Munis du bloc de secours, il se jette à l’eau en nous faisant au passage la démonstration d’une troisième technique d’immersion en scaphandre (après le phoque et le canard) qui pourrait s’apparenter à celle du « Martin-pêcheur » ! Nous suivons avec anxiété les bulles de ce sauveteur improvisé se rapprochant de nos naufragés sous-marins. Puis c’est l’attente, longue, sourde, angoissante…..

C’est alors que perçant la surface, le bras tendu et la main arborant un grand signe OK, Nous voyons enfin apparaitre les deux premiers rescapés de ce qui restera gravé dans la mémoire de tous comme « Le palier infernal ». Bizarrement, nous reconnaissons très vite 2 plongeurs issus de 2 palanquées différentes. Sans vraiment comprendre ce qui a pu occasionner cet « échangisme » sub-aquatique, nous aidons les infortunés à rejoindre le bord du Narkoz. Les nouvelles sont bonnes. Nos plongeurs ne se sont pas retrouvés enfermés dans une cage entourée de féroces requins mangeurs d’hommes, mais ont simplement subi les instructions contradictoires de 2 algorithmes de décompression incompatibles. Encore de longues minutes, puis un troisième plongeur apparait, il s’agit de Cube, resté jusqu’au bout pour porter assistance au dernier plongeur, A. qui entame sa 35eme minute de palier… Et enfin vient la délivrance, 73 minutes après son immersion et équipé seulement d’un bloc 15l et d’une SolaFx, A. vient de pulvériser tous les records de temps de plongée du Week-end !!!

Ho, je vois bien ce que vous êtes en train de penser ! 4 pages de lecture où j’ai ménagé le suspense et clairement laissé planer, phrase après phrase, l’ombre et la peur que nous inspirent les dents de la mer : QUELLE ARNAQUE !!!!!

Mais où est donc le requin ??????

Et bien rassurez-vous, il y a quand même un Sélacien dans mon histoire, qui pointera son museau quelques heures après l’incident. L’après-midi du dimanche, alors que nous partions pour une petite plongée tranquille à la « pointe de la galère », nous sommes tombés nez à nez avec une magnifique Roussette. Bien moins dangereuse que son compère Carcharodon, mais tout de même près de 1m50 et la grâce, la vélocité  et le « pelage »  de ce qu’on pourrait appeler le « guépard des mers ».

Voilà, fin de l’histoire, mon scénario devait normalement finir avec une musique romantique, où les héros de l’aventure s’enlacent devant un soleil couchant, mais A. a refusé d’embrasser la roussette !

Un grand merci à tous pour ce formidable week-end !

Romain